Je sors d’un stage passionnant de 2 semaines sur la maîtrise de la langue, mais inévitablement, toute la partie vocabulaire/grammaire implicite/littérature jeunesse a fait écho à mon mémoire de Cafipemf. Quels sont les liens entre la narration d’albums en anglais et en français ?

Avant tout, il y a un lien dans le domaine de l’apprentissage du lexique. Micheline Cellier, dans Le vocabulaire à l’école primaire, Retz, dit qu’on retient bien ce que l’on répète, ce qui a du sens, ce que l’on catégorise (classe grammaticale, champ lexical ou mise en réseau) et ce que l’on consolide. Alors on pourra réactiver ce qui a été stocké dans la mémoire.

Or, dans ma démarche de storytelling, on répète souvent avec les écoutes, les jeux de production orale ; on catégorise les mots autour d’un album en contexte, ce qui a du sens, voire on trie (exemple : vocabulaire des monstres, vocabulaire des couleurs, pour Big Green Monster). On pourrait même aller jusqu’à trier par catégorie grammaticale, plus tard, car mes élèves ont su identifier les noms et les « mots en plus qui disent comment c’est » qui seront bientôt catégorisés comme des adjectifs, une fois la notion vue. Et on consolide ce lexique par le réinvestissement dans des activités de production orale courtes pendant les phases d’apprentissage, puis plus longues, dans les activités de mise en scène. Et de manière spiralaire, je fais revoir et réutiliser le vocabulaire appris et je m’appuie sur les connaissances des enfants pour aller plus loin ensuite.

Micheline Cellier conseille de ranger ces listes de mots dans des « fleurs » pour catégoriser les mots autour d’un contexte et en faire un outil de référence. Cela a à nouveau soulevé pour moi la question de la trace écrite en LVE au cycle 2 où l’écrit est quasiment absent …

Durant ce stage, nous avons vu, avec des inspecteurs et conseillers pédagogiques, comment utiliser les albums de littérature de jeunesse pour s’approprier des éléments langagiers en production orale et/ou écrite. Parfois, la grammaire a une vraie mission pour comprendre un texte ou les intentions de l’auteur. Le but étant d’entrer dans la langue écrite en français, il semble justifié d’aller voir comment fonctionne cet écrit aussi. Cela a renforcé ce que je disais dans mon mémoire sur le fait que l’on peut utiliser les albums parce que chacun amène un élément langagier intéressant mais sans détruire le plaisir de lire. Il convient de ne pas instrumentaliser tous les albums rencontrés et de ne pas les « décortiquer » de manière exhaustive au risque de les vider de leur sens premier : susciter des émotions et aider à avoir un regard sur la vie … Claudette Oriol-Boyer dit que l’on réagit de manière affective à une histoire, on relie le texte à son histoire personnelle pour vibrer, avoir peur …. d’où l’intérêt de ne pas passer des semaines sur un album afin de varier les plaisirs (et aussi de donner une culture littéraire plus grande).

Claudette Oriol-Boyer précise aussi qu’il ne suffit pas de rester sur l’effet « magique » produit par les textes littéraires. Il faut aussi une lecture distanciée pour savoir par quels procédés linguistiques a été créé cet effet. Je me dis donc que c’est donc bien en s’appropriant un texte, une structure langagière dans les pas de l’auteur qu’on peut se constituer une certaine créativité dans le domaine de l’écriture. Toutes les réflexions sur la langue utilisée dans l’album seront là aussi pour éclairer l’écrit (la grammaire explicite). Et pour écrire, il faut bien regarder comment les écrits fonctionnent. C’est l’affaire du cycle 3 en LVE. Justement, le storytelling en cycle 3 est envisagé de la même manière qu’au cycle 2 où l’oral est toujours privilégié avant le passage à l’écrit, mais avec des structures plus complexes, donc des albums plus complexes, et l’introduction de l’écrit (compétences langagières : lire, écrire).

De même qu’il existe une liste de structures langagières à faire acquérir en anglais suivant le cycle 2 (Programmation_cycle2) ou le cycle 3 (Programmation_cycle3), il existe une liste de mots classés par fréquence en vocabulaire en langue française. En anglais, je me sers du travail effectué par les CPLV de mon académie de Nice pour savoir si je dois faire apprendre ou non telle structure langagière ou si elle restera à l’état de vocabulaire passif pour le moment. Cette programmation par niveau (programmation_ash) me semble aussi un excellent outil permettant de différencier.

Enfin, je suis contente d’avoir entendu ce que j’évoquais rapidement dans mon mémoire, c’est à dire, l’importance de la mise en réseau de l’anglais avec le français et les liens avec les autres disciplines. Apprendre à faire des liens, des ponts, c’est une forme d’intelligence qui apprend à apprendre. C’est ainsi que fonctionne le cerveau, avec ses connexions, par constellations associatives.

On nous a parlé des travaux de chercheurs sur ce qui motive les élèves à lire (Mossn Hendershot et Worthy, 2002) et ceci est en relation directe avec mon mémoire :

le maître qui fait la lecture (ce que je fais),

l’enthousiasme du maître (je choisis des albums qui me plaisent, en plus de ma grille d’analyse),

le fait de disposer de temps personnel de lecture-plaisir (mon coin-livres d’anglais avec casques à disposition),

des activités de dramatisation : mimes, jeux, tapis de contes* … (et c’est ce que je fais en prolongement du storytelling),

le fait de lire sans avoir à répondre à des questions, d’où l’importance de la lecture offerte et du choix personnel (mon coin-livres d’anglais avec casques à disposition et mes lectures offertes en fonction du thème du moment).

*A noter que le tapis de conte qui se fait habituellement en maternelle m’a été d’un grand secours pour l’album Father Christmas needs a wee. En effet, le livre continue sa progression en avançant au fil des pages, mais il y a un flashback qui n’a pas été compris par tous les enfants. J’ai donc utilisé un tapis de conte, avec un personnage plastifié sur un pique à brochette, pour rejouer l’histoire. Ils ont pu voir concrètement qu’il y a un retour en arrière à un moment donné, puis une reprise du cours de l’histoire. (Il faudrait que je le prenne en photo et que je l’ajoute à mon article spécial Christmas …)

Au niveau culturel, je me suis demandé s’il ne serait pas pertinent, finalement d’établir une liste d’oeuvres de littérature de jeunesse en anglais, comme cela est le cas en français, aux cycles 2 et 3, non pas pour en imposer la lecture (du moins l’orienter, pour une culture commune à tous les élèves) mais pour aider l’enseignant à choisir parmi la multitude d’albums en vente. Des spécialistes pourraient se pencher sur la question. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que de nombreuses oeuvres de la liste de cycle 2 en français sont des livres traduits d’auteurs anglo-saxons : Colin McNaughton, Ruth Brown, Anthony Browne, John Burningham, Babette Cole, Tony Ross, + Emily Gravett et Roald Dahl pour le cycle 3, parmi les plus célèbres ; et parmi les classiques de maternelle (où il n’y a pas de liste du MEN, tiens), on retrouve les ouvrages d’Helen Oxenbury (Leo et Popi, La chasse à l’ours), d’Eric Carle (La chenille qui fait des trous) et d’Ed Emberley (Va t’en grand monstre vert) …Ils participent donc bien à la culture littéraire des élèves d’école primaire, ce sont des oeuvres du patrimoine européen. La compétence de cycle 2  « lire et écouter lire des oeuvres du patrimoine et des oeuvres intégrales de littérature de jeunesse adaptées à son âge »  prend alors tout son sens avec le Storytelling … Les oeuvres que je lis à mes élèves en anglais sont des oeuvres de littérature de jeunesse de qualité, qui ont reçu des prix littéraires et qui font partie des classiques pour les enfants anglo-saxons.

51skKITkJ2L 9782877671729

Un travail intéressant sur la place de l’adjectif et les accords (ou non) peut être mené en français et en anglais, sur cet album.

Il est intéressant de souligner que l’inverse ne semble pas vrai : s’il est aisé de trouver des traductions en français de livres d’auteurs classiques de littérature jeunesse anglo-saxons, j’ai eu énormément de mal à dénicher des traductions anglaises de nos classiques Claude Boujon, Geoffroy de Pennart, Claude Ponti, … qui sont pourtant des auteurs incontournables en France ! Ceci dit, j’ai déniché avec grand peine sur un site anglais d’occasion la traduction de Bon appétit Monsieur Lapin de Boujon, qui donne de manière intéressante « Bon appetit Mr Rabbit« , et de Loup d’Olivier Douzou, albums connus de mes élèves en français. Je n’en ai pris que deux car les prix étaient exorbitants ! Quel plaisir de voir mes élèves retrouver les personnages à la lecture de ces livres si connus et de les voir émettre des hypothèses de sens sur les mots !

La discussion de classe sur le sujet de la littérature de jeunesse traduite dans un sens ou dans l’autre a été fort intéressante. Dommage que nous n’ayons pas eu un spécialiste de la littérature de jeunesse internationale parmi nous !

wolfslunch

Traduction du livre Loup d’Olivier Douzou

Cet album lu pendant la séquence sur les animaux m’a permis de réviser le vocabulaire du visage de manière décontextualisée (le visage du loup, et non plus celui de Jack o’ Lantern, de Big Green Monster ou de son propre visage). Il a permis aussi un débat sur les choix de la 1ère de couverture et du titre qui diffèrent du français :

71d+HyE-wPL

Et vous, vous préférez le très gros plan de la couverture française ou le plan plus général version english ? Pourquoi ? 😉

 

Sylvie Hanot (Cafipemf généraliste etLVE)

Write A Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Pin It